Malainin Lakhal : « L’occupation marocaine ne pourra jamais effacer l’histoire ni la souveraineté sahraouie sur le Sahara Occidental »

MLhumaniste
lun 29/09/2025 - 23:19

Alger (Algeria) 29 Septembre 2025 (SPS)- Le Vice- représentant permanent de la République arabe sahraoui démocratique (RASD) à l’Union Africaine et écrivain sahraoui, Malainin Lakhal, a déclaré au Magazine de la Fondation pour la promotion des droits, l’Humaniste, que l’occupation marocaine ne poura jamais effacer l’histoire, soulignant que « la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par certains États n’a aucune valeur juridique tant que le peuple sahraoui n’a pas librement exprimé son choix ».

« L’Humaniste », qui sort dans sa première édition de Juin/Juillet 2025, a publiée cet interview qui a fait le tour de la question sahraouie, ses derniers développements et les perspectives du futur vu le changement global dans les relations internationales.

 Voila le texte intégral de l’entretien :

Malainin Lakhal, représentant permanent adjoint de la RASD à l’UA : « Le droit international n’est pas un luxe ou un ornement »

Alors que le Sahara occidental demeure la dernière colonie officiellement reconnue en Afrique, la cause sahraouie continue d’être reléguée à la périphérie des priorités internationales. Pourtant, derrière le silence diplomatique et les intérêts stratégiques, un peuple lutte pour son droit inaliénable à l’autodétermination. Dans cet entretien sans détour, Malainin Lakhal, vice- représentant permanent de la République arabe sahraoui démocratique (RASD) à l’Union Africaine et écrivain sahraoui, dénonce l’occupation marocaine, le pillage économique, la complicité de certaines puissances occidentales, et le double langage du droit international. Pour lui, la résistance sahraouie est plus vivante que jamais, portée par la légitimité historique, juridique et morale de sa cause

L’Humaniste (L’H): Le Sahara occidental, aujourd’hui, dernière colonie d’Afrique. Pourtant, cette cause demeure largement absente des grandes tribunes internationales. Comment expliquez-vous ce silence persistant autour du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination ?

Malainin Lakhal (M.L) : Le silence relatif autour de la question sahraouie n’est ni anodin, ni innocent. Il résulte d’un équilibre géopolitique dominé par des intérêts économiques, stratégiques et diplomatiques puissantes, souvent aux dépens des principes fondamentaux du droit international. Pourtant, la cause du peuple sahraoui est claire : nous sommes un peuple colonisé, reconnu comme tel par l’ONU depuis 1963 et le Maroc est une puissance d’occupation illégale, reconnus comme tel par l’ONU depuis 1975. L’absence d’action concrète de certaines grandes puissances et la complaisance de certains médias internationaux traduisent une inquiétante hiérarchie des causes, où la justice est parfois reléguée derrière les intérêts à court terme.

D’autre part, il serait aussi inexact de dire que la question sahraouie est totalement absente des grandes tribunes internationales. Bien au contraire, elle est régulièrement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies, où elle bénéficie d’un large soutien des États membres, notamment du Mouvement des non-alignés, de l’Union africaine et de plusieurs pays d’Amérique latine et d’Asie. Elle demeure également l’une des questions les plus sensibles et débattues au sein du Conseil de sécurité, bien que certains membres permanents y bloquent toute avancée substantielle. En Europe, malgré une posture parfois ambiguë, la cause sahraouie est défendue au sein du Parlement européen, dans les tribunaux de l’Union, et par de nombreuses organisations de la société civile. C’est donc une lutte qui, bien qu’entravée par des forces puissantes, reste vivante, légitime et portée avec conviction dans les enceintes internationales. Je dirais même qu’elle demeure, malgré tout, l’une des questions internationales les plus vif toujours inscrites à l’ordre du jour ; une cause que le Maroc et ses alliés n’ont pas réussi à étouffer, en dépit de toute leur influence, leur puissance et leurs intérêts. C’est d’ailleurs pour ca que nous voyons le Maroc courir les quatre coins de la planète cherchant du soutien à sa position colonial.

L’H : L’Union africaine a reconnu la RASD comme État membre à part entière. Ce soutien continental a-t-il un impact réel ou reste-t-il largement symbolique ?

M.L : La reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique par l’Union africaine n’est pas symbolique. Elle est un acte politique et juridique fort, qui a été pris, il faut le rappeler par les pères fondateurs du Panafricanisme, affirmant que l’Afrique ne peut se construire durablement tant qu’un de ses peuples est privé de liberté. La RASD siège avec les mêmes droits que tous les autres États membres, y compris le Maroc. Ce fait remet en cause les prétentions expansionnistes marocaines sur notre territoire et renforce la légitimité de notre cause. Cela dit, pour que ce soutien ait un impact concret, il doit s’accompagner de mesures plus fermes bien sûr, tel des sanctions contre l’occupant, pressions diplomatiques, et soutien humanitaire renforcé. Ce n’est peut-être pas encore le cas, mais cela ne diminue en rien la portée politique et juridique de la reconnaissance africaine de la légitimité et de la souveraineté de la RASD sur son territoire. Cette reconnaissance dérange profondément le Maroc, car elle expose son isolement et le met en difficulté, y compris face à ses propres alliés africains et internationaux. Il suffit, à titre d’exemple, de rappeler la participation de la RASD, sur un pied d’égalité avec le Maroc et les autres États membres de l’Union africaine, aux sommets de partenariats entre l’Union africaine et des partenaires internationaux tels que l’Union européenne, la Ligue arabe ou encore le Japon. La seule présence officielle de la RASD dans ces forums internationaux suffit à remettre en question les thèses colonialistes marocaines et à réaffirmer la légitimité du combat sahraoui sur la scène mondiale.

L’H : Comment décririez-vous aujourd’hui la situation humanitaire dans les territoires occupés du Sahara occidental, en particulier en ce qui concerne l’accès aux soins, à l’eau, et à la liberté d’expression, l’enseignement … ?

M.L : La situation humanitaire dans les territoires occupés est alarmante. Le peuple sahraoui y vit dans un climat de répression constante et systématique. L’accès aux soins est discriminatoire, l’eau potable est rare dans certaines régions, et les infrastructures sont inégalement réparties, favorisant les colons marocains. La liberté d’expression est inexistante : journalistes, militants et simples citoyens sont surveillés, emprisonnés, torturés voir assassinés parfois, simplement pour avoir exprimé leur attachement à leur identité nationale. Le système éducatif marocain y est un outil d’endoctrinement visant à effacer l’histoire et la culture sahraouies. C’est une forme de génocide culturelle  et ethnique silencieux, mais systématique. Malheureusement, les mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme restent largement insuffisants face aux violations graves et bien documentées commises par le Maroc au Sahara occidental. Ces abus ont pourtant été dénoncés à maintes reprises par des organisations internationales de défense des droits humains, ainsi que par plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations Unies, qui ont exprimé leurs préoccupations à travers des communications officielles. Ces prises de position soulignent l’incapacité actuelle du système onusien à assurer un suivi efficace et à dénoncer publiquement les violations systématiques des droits fondamentaux du peuple sahraoui. Le Maroc bénéficie en effet du soutien politique et diplomatique de plusieurs États se réclamant de la démocratie. Ce soutien, qu’il soit actif ou tacite, contribue à l’impunité dont jouit le régime marocain, et perpétue des crimes graves, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ainsi que la violation persistante du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination.

L’H : L’Algérie réclame depuis des années l’élargissement du mandat de la MINURSO afin qu’elle recense les violations du droit international humanitaire et les violations des droits humains et atteintes à ceux-ci commises au Sahara occidental. Pourquoi ce mandat reste-t-il limité, et qui a intérêt à maintenir ce statu quo ?

M.L : Il ne s’agit pas seulement de l’Algérie : toutes les organisations internationales de défense des droits de l’homme, ainsi que de nombreux États attachés au respect du droit international, soutiennent l’élargissement du mandat de la MINURSO pour y inclure la surveillance des droits humains. Il est profondément préoccupant que cette mission, initialement créée pour organiser un référendum d’autodétermination, soit aujourd’hui réduite à un rôle limité de surveillance du cessez-le-feu. Il s’agit là d’une anomalie historique : c’est la seule mission de maintien de la paix créée par l’ONU après la guerre froide qui ne dispose pas d’un mandat relatif aux droits de l’homme.

Ce blocage est largement dû à l’opposition de certains membres influents du Conseil de sécurité – notamment, mais non exclusivement, la France – qui privilégient leurs intérêts stratégiques et économiques dans la région au détriment des principes universels. Maintenir ce statu quo, c’est cautionner un ordre profondément injuste. Cela revient à offrir à la puissance occupante un chèque en blanc pour continuer ses violations en toute impunité, à l’abri de toute observation indépendante. C’est, en somme, un déni manifeste de la responsabilité internationale.

Il convient également de rappeler que le Front Polisario, reconnu par les Nations Unies comme la seconde partie au conflit en sa qualité de représentant légitime du peuple sahraoui, n’a cessé de revendiquer l’intégration d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme dans le mandat de la MINURSO. Cette revendication est également soutenue avec force par la société civile sahraouie. Pourtant, cette demande légitime continue d’être ignorée, en grande partie en raison de la protection politique dont bénéficie le Maroc de la part de certaines puissances se réclamant de la démocratie. Ce soutien inconditionnel contribue à la perpétuation d’une occupation illégale, à des violations systématiques des droits humains, et à des actes qualifiables de crimes de guerre au Sahara Occidental. Ce double discours sape la crédibilité du droit international et révèle une hypocrisie profonde dans l’attitude de ces États.

L’H : Les défenseurs sahraouis des droits humains, comme Sultana Khaya, sont fréquemment harcelés, placés en résidence surveillée ou agressés. Quelle est la responsabilité de la communauté internationale face à ces violations graves ?

M.L : La communauté internationale a la responsabilité morale et juridique de protéger les défenseurs des droits humains, partout dans le monde. Les cas comme celui de Sultana Khaya sont emblématiques de la brutalité du régime d’occupation marocain. Lorsqu’une militante pacifique est agressée dans sa propre maison, pendant des mois, sous silence international, cela envoie un message dangereux : que certains peuples peuvent être privés de leurs droits en toute impunité. Nous appelons les États, les ONG, et les mécanismes onusiens à agir concrètement, à documenter ces crimes, et à faire pression pour que justice soit rendue.

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est le silence persistant, voire l’inaction, de certaines institutions africaines pourtant chargées de la protection des droits humains, comme la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, pour ne citer qu’elle. Lorsque des violations aussi graves et systématiques sont commises en toute impunité contre tout un peuple africain, sans réaction appropriée de ces instances, cela représente un échec moral et institutionnel majeur. L’histoire ne sera pas clémente envers celles et ceux qui auront détourné le regard, laissant le peuple sahraoui affronter seul le colonialisme, l’agression et les violations quotidiennes de ses droits fondamentaux, au nom d’intérêts politiques ou de calculs géostratégiques.

L’H : Certains États, dont des membres permanents du Conseil de sécurité, ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en soutenant son plan d’autonomie. Est-ce que cela remet en cause la légalité internationale de la cause sahraouie ?

M.L : Non. Le droit international n’est pas une opinion. Il ne dépend ni du poids économique, ni de la force militaire. La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par certains États n’a aucune valeur juridique tant que le peuple sahraoui n’a pas librement exprimé son choix. La France ou encore les Etats Unis non pas de souveraineté sur le Sahara Occidental pour la donner a une puissance occupante elle aussi sans souveraineté sur ce territoire. La Cour internationale de justice, l’Union africaine, et la Cour de justice de l’Union européenne sont claires : le Sahara occidental est un territoire non autonome, en attente de décolonisation. Le plan marocain d’autonomie, imposé unilatéralement, est simplement illégale et irréaliste, et ne peut en aucun cas remplacer un référendum libre et équitable. La seule solution fiable, crédible et juste reste l’exercice, par le seul détenteur de la souveraineté sur son territoire-soit le peuple sahraoui, de son droit à l’autodétermination. Toute autres tentatives de solutions hors ce cadre et totalement hors sujet.

L’H : Ces reconnaissances diplomatiques du plan marocain peuvent-elles affaiblir durablement la résistance du Front Polisario ou avoir un impact significatif sur l’avenir de la cause sahraoui ?

M.L : La résistance sahraouie est fondée sur la légitimité historique, juridique et morale. Elle ne dépend pas des fluctuations diplomatiques ou de changement d’intérêts et de conjonctures politiques. Certes, ces reconnaissances peuvent compliquer le rapport de forces international, mais elles ne changent rien à la volonté du peuple sahraoui, qui reste inébranlable, ni a la nature du conflit qui reste un conflit de décolonisation. Le Front Polisario est l’expression politique et militaire de cette volonté. Chaque fois que le droit est bafoué, notre détermination se renforce. L’histoire nous enseigne que les peuples en lutte finissent toujours par vaincre lorsqu’ils sont du côté de la justice. Le Maroc ne saurait être plus puissant que ne l’étaient la France ou le Royaume-Uni à l’apogée de leurs empires coloniaux, et pourtant, ces puissances ont fini par renoncer à leurs colonies, malgré tous leurs efforts pour maintenir leur emprise. La colonisation est une anomalie historique et un crime contre l’humanité. Elle ne peut être justifiée par aucun argument politique, économique ou stratégique. Elle doit être rejetée et combattue par tous les peuples épris de justice, de liberté et de dignité.

L’H : Le Sahara occidental est riche en ressources naturelles (phosphates, pêche, énergie solaire…). Dans quelle mesure ce pillage économique contribue-t-il à la perpétuation du conflit ?

M.L : Le pillage des ressources sahraouies est à la fois une conséquence et un moteur de l’occupation. Il finance l’enracinement de la présence marocaine et permet d’acheter des alliances diplomatiques. Il prive également notre peuple de ses droits économiques fondamentaux. En exploitant nos richesses sans notre consentement, le Maroc viole le droit international, notamment le principe de la souveraineté permanente des peuples sur leurs ressources naturelles. Tant que ce pillage se poursuit, le conflit sera alimenté, car il crée une situation d’injustice structurelle intolérable.

D’ailleurs, cet après-midi même, l’Observatoire sahraoui des ressources naturelles a publié un rapport particulièrement détaillé et rigoureux sur cette question. Je vous invite vivement, ainsi que vos lecteurs, à le consulter afin de mieux saisir l’ampleur du pillage économique auquel est soumis le peuple sahraoui.

L’H : L’Europe se montre souvent ambiguë dans sa position : d’un côté, elle parle de respect du droit international ; de l’autre, elle signe des accords économiques avec le Maroc incluant illégalement le Sahara occidental. Cette duplicité européenne est-elle une forme de complicité ?

M.L : Cette duplicité, malheureusement, peut s’apparenter à une forme de complicité passive, voire active. Les institutions européennes sont parfaitement conscientes que les accords avec le Maroc ne doivent pas s’appliquer au Sahara occidental, comme l’ont confirmé plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne. Pourtant, certains États membres poussent à contourner ces décisions, au nom de la « realpolitik ». Cette posture affaiblit la crédibilité de l’Europe en matière de droits humains et mine le respect du droit international. Il est temps que les principes prévalent sur les intérêts.

Mais cela n’a rien de surprenant, ni de nouveau. Sur de nombreuses questions internationales, plusieurs pays européens ont montré un profond mépris pour la légalité internationale, voire pour leurs propres engagements juridiques. Leurs positions, qu’elles soient collectives ou individuelles — à l’exception de quelques États —, face au génocide en cours en Palestine, illustrent tristement cette dérive. Il n’est même plus nécessaire de commenter tant leur silence, ou leur complicité, parle de lui-même. L’Europe, et l’Occident en général, ont échoué de manière retentissante à ce test fondamental d’humanité et de respect du droit.

Ce double standard alimente un profond sentiment d’injustice dans le Sud global et mine la crédibilité morale de l’Occident sur la scène internationale. Car ce que les peuples opprimés, qu’ils soient sahraouis ou palestiniens, demandent n’est pas un traitement de faveur, mais simplement l’application équitable du droit international — ce droit que certains invoquent à géométrie variable selon leurs intérêts stratégiques ou économiques.

L’H : À quoi sert le droit international quand des arrêts clairs et répétés de la Cour internationale de justice et de la Cour de justice de l’Union européenne en faveur du peuple sahraoui sont ignorés ou contournés ?

M.L : Attention, Il ne faut pas tomber dans le piège de s’opposer au droit international, de le critiquer ou de le mépriser, c’est précisément ce que certains souhaitent. Le droit international n’est pas un luxe ou un ornement. Il est la colonne vertébrale de la paix mondiale, et le minimum possible de règles permettant une coexistence plus-au-moins juste. Lorsqu’il est ignoré, le monde bascule dans l’arbitraire et la loi du plus fort. C’est d’ailleurs ce que veulent quelques puissances internationales et quelques régimes peut soucieux de justice, comme le Makhzen ou l’entité sioniste. Oui, il est vrai que les décisions de la CIJ et de la CJUE en faveur du peuple sahraoui sont juridiquement contraignantes, mais leur mise en œuvre dépend de la volonté politique de chaque pays. C’est pourquoi nous, avec nos alliés et amis, devons intensifier nos efforts pour mobiliser l’opinion publique, la société civile et les institutions indépendantes dans ces pays, afin de les confronter à leurs propres contradictions. Le droit est de notre côté. L’histoire aussi. Il ne reste qu’à faire triompher la justice." (SPS)

090/500/60 (SPS)

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